Plume libre Décembre 2010

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PLUME DE NOEL

Quand j’étais petite fille, j’aimais rencontrer les vieux du village,
Ceux-là dont la pupille brillait de malice ou dont les yeux brûlaient,
Comme si un feu restait allumé dedans.
La vieille dame que je préférais pépiait comme un oiseau soumis à la grâce du chant.
Sous ses châles et ses écharpes, son visage si fragile était toujours habité
De vie, de lumière, et de multiples étagères sur lesquels des milliers de livres se disputaient la place.
Oh, ça fait longtemps quelle est repartie planer dans les airs, se cacher dans les pierres !
Mais les histoires qu’elle me racontait continuent leur chemin,
Bondissant sur mes lèvres, courant dans le cœur des enfants,
Repartant en liesse dans la musette de mes rencontres de hasard auxquelles je les donne.
Et bien oui, les histoires sont faites pour être partagées,
Pour transmettre des pensées immémoriales
Car, elles sont les messagères de l’éternité !
En ce Noël, puisque mes poches sont vides,
J’ai fouillé dans mon être de chair, celui qui palpite sous les déguisements.
Là, tout au fond du dernier coffre,
J’ai retrouvé le conte de sagesse.
A propos de ce qui est suffisant.
Et comme toutes les histoires, il commence par...

 

Il était une fois,
Il y a déjà bien longtemps
Sur les hauts plateaux d’un pays de l’Est,
Un village perdu au creux des collines.
Ceux qui y vivaient étaient très pauvres
Car la guerre par trois fois en quelques années
Avait ravagé leur population et saccagé leurs biens.
Ainsi les habitants cherchaient à reconstruire une vie,
En s’aidant comme ils le pouvaient avec leurs maigres ressources.
Le boulanger cuisait de minuscules pains avec des restes de farine glanés ça et là.
Les femmes raccommodaient les étoffes trouées et assortissaient tant bien que mal
Les tissus retrouvés au fond des meubles remplis de vermine.
Dans ce village, vivait un couple aussi beau que pauvre.
Chacun des deux époux avait pu préserver un unique bien.
Lui avait sauvé du pillage une ancienne montre-gousset
Qui avait appartenu à son grand-père.
Il la portait sur lui tout le temps en souvenir de ses ancêtres.
Il lui restait uniquement le cadran, la chaîne ayant disparu lors de la dernière invasion.
Elle, malgré le manque de nourriture, avait conservé une chevelure éblouissante
Qui la couvrait jusqu’aux chevilles comme d’un manteau aux reflets d’or.
A l’approche de Noël, comme partout dans le monde pour ceux qui s’aiment,
Le jeune homme et la jeune femme ne cessaient de penser au cadeau qu’ils pourraient s’offrir.
Mais, leurs poches étaient désespérément vides
Un jour, devant son miroir, en se brossant les cheveux,
La jeune femme eut soudain une idée !
Elle décrocha sa pèlerine toute usée, mit ses mitaines trouées et,
S’élança vers la dernière rue du village, franchit la porte d’une masure en piteux état,
Grimpa les marches vermoulues et frappa à la porte qui miaula en s’ouvrant
Sur une étrange créature à la crinière rouge.
Madame Barbe, avant la guerre, était perruquière.
Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait rien eu à se mettre sous les ciseaux.
Quand elle vit passer l’or dans les cheveux de la jeune femme, ses yeux étincelèrent !
Peu de temps après, l’amoureuse repartait tondue en serrant sur son cœur quelques précieux écus.
Le jeune homme, quant à lui, poursuivait sa quête en passant devant les marchands ambulants.
L’un d’entre eux lui présenta un foulard aux couleurs passées.
Non, cela ne convenait pas, cela cacherait les si beaux cheveux !
Plus loin, un homme sur ses paumes ouvertes lui présenta de jolies barrettes en argent plaqué.
Le jeune homme sut que ce cadeau était la parure qu’il lui fallait.
Le marchand en demandait un sou qu’il n’avait pas.
Il se mit à réfléchir à ce qu’il pourrait donner en échange.
Entretemps, la jeune femme avait trouvé à l’autre bout du village
Un ancien bijoutier qui avait déniché dans la poussière de son grenier
Une chaîne pour attacher la montre-gousset.
Elle rentra le cœur tremblant de joie à l’idée de la surprise qu’elle réservait à son bien-aimé.
Mais, en voyant son reflet dans le miroir, une angoisse lui serra soudain la poitrine.
Et s’il venait à ne plus l’aimer comme cela ?
Lorsqu’elle l’entendit gravir l’escalier, elle tremblait de tous ses membres.
Sur le seuil, le jeune homme resta cloué de stupeur, incapable d’articuler un mot.
La jeune femme éclata en sanglots en lui racontant pourquoi elle avait vendu ses cheveux.
Il lui répondit : « Ma chérie, tu ne pouvais le savoir mais moi,
Je viens d’échanger ma montre-gousset contre deux barrettes pour parer tes cheveux... »
Ils se regardèrent alors et éclatèrent de rire
Réalisant que le plus beau cadeau, ils venaient de se l’offrir
Parce qu’ils avaient renoncé chacun à leur unique avoir par amour pour l’autre
Et cela, oui cela était bien suffisant !

 

Aucun de nous n’est immortel mais les histoires, elles le sont !
Elles transportent les secrets de la terre d’une génération aux suivantes.
Et, tant qu’il y aura des cœurs pour les écouter et des lèvres pour les raconter,
Elles seront pour les hommes le cadeau des ancêtres, la preuve de l’éternité.
Tant qu’il y aura des histoires qui cheminent,
Je vous le promets,
Ca sera suffisant !

 

 

Joëlle Dederix