Plume libre Septembre 2010

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HOMMAGE

Avant de mourir, ma mère s’était faite toute belle
Un ruban bleu dans la volupté de ses cheveux
Mille nuances sur l’opale de sa peau
Des rivages naturellement dessinés autour de ses yeux
Enlaçant tendrement des paillettes si bleues, si bleues
Avec dans ce regard des rapides aux eaux limpides
Et dans le cœur trop grand, soudain un étau ...
Quand le sommeil l’a prise elle riait, sublime et sereine
Quelques perles roulant encore sur son front de reine
Lorsqu’une ondée de rose vint habiller
Ses paupières désormais closes
Je sus que ma plus grande peine
Serait de ne plus capter le bleu
Celui du ruban et celui des yeux
Le ciel vient de se refermer
Il pleut et je me souviens que l’eau féconde la terre
Les larmes illumineraient-elles la mienne ?
Hier soir quelqu’un m’a demandé qui m’avait appris la cuisine,
C’est elle l’artiste gracieuse, la pianiste de la table fine
Vingt ans qu’elle est partie et que sans elle je chemine
Cependant plus le temps passe et plus elle m’habite
Comme si l’amour qui me fonde retrouvait sa source

 

Mon père était mon seigneur
Mon chevalier sur ses chevaux écumants
Lui aussi vient de traverser
Le mur du son, l’espace et le temps
J’aimais caresser sa petite tête ronde
Et quand il est devenu si vulnérable
Le prendre dans mes bras, aller avec lui sous les combles
Rechercher les vieux souvenirs, ouvrir les coffres poussiéreux
Souffler dessus, faire s’envoler les silences, effacer les nuages
Tiens voici que je regarde par la fenêtre, la pluie a cessé
Je l’ai perçu à cette lumière qui vient d’inonder mes mains
Je sens dans mon cœur une douce déchirure qui s’agrandit avec l’âge
Il en coule des flots de quelque chose de chaud, de vif, de bien
Capitaine, mon capitaine tu es resté maître à bord
Jusque dans le mystère de ta mort
Homme libre et debout jusqu’au bout
Elégant et dans la pleine conscience
Mon père, jamais je ne t’ai entendu critiquer quelqu’un
Aucune rancune ne t’habitait, aucune colère ne t’empoignait
Tu m’as donné ce que je suis
Mon prénom c’est toi qui l’as choisi
Chaque fois qu’il est prononcé, je sais que c’est toi qui me bénis

 

En lisant ceci je vous vois déjà croire que j’ai eu des parents parfaits
Mais ce n’est pas le cas, il y eût des failles, des maladresses
Des révoltes et des erreurs
Face à eux j’ai vécu toutes les traversées de l’Etre
Fût-ce difficile
Fût-ce bouleversant
Fût-ce révoltant
Fût-ce incompréhensible
Mais dans mes cellules gravitent les leurs
Et lorsque je pose ma main sur mon front
Je sens qu’ils me consolent et m’accompagnent
Honorer signifie : « rendre la juste place »
Alors place aux honneurs !
Mon père et ma mère dans un élan sacré m’ont donné la vie
Et je tremble de gratitude à cette certitude d’être aimée
Le vin est tiré, il faut le boire quelquefois jusqu’à la lie
Le chemin passe par là, c’est ce qu’ils m’ont appris,
C’est ce qu’ils m’ont montré
L’amour n’est pas parfait, il n’est pas tout lisse
Mais dans le secret il nous tisse
Au bout de sa course
Il retourne à sa source
Terre et ciel tout passera
Seul, l’amour demeurera !

 

 

Joëlle Dederix